Ces Dames du noir 5.3 : Dialogue avec une grande dame du noir, Jeanne Desaubry.

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Conversation avec Jeanne 3

Troisième et avant dernière partie de nos papoti, papota avec Jeanne qui furent passionnants

GVL : Jeanne peux-tu ne parler de ton boulot d’éditrice.

Préciser à une inculte en quoi ça consiste. T’es correctrice, relectrice, conseil… ?

JD : Un éditeur c’est un gros caméléon caché et même coincé sur un coussin à carreau.

Gvl : whoua le pauvre. (Rire)

JD : On t’amène un texte et tu sens que derrière il y a  vraiment quelque chose de bien. Mais tu vois aussi qu’il n’est peut-être pas abouti.

Tiens, voilà pour illustrer le travail d’édition. J’ai été contacté par un grand jeune homme timide, mais un grand monsieur du noir : Marc Villard, ce n’est pas n’importe qui, sans doute un des plus grand nouvelliste français. C’est un auteur qui a une superbe écriture

Marc me contacte et me dit voilà, « j’ai écrit un texte qui n’a sa place nulle part. Il n’entre pas dans un recueil, c’est un truc bizarre…c’est un peu western…»

Il me le donne à lire. Je ne vais pas évidemment, concernant Marc, lui dire « tu vas me retirer un adjectif, tu me remets ça au présent, ça pourrait être plus rapide, ça pourrait être… »

jeanne&pngJe lui dis « Ta nouvelle est fantastique, elle me plait beaucoup mais…je reste sur ma faim parce que je trouve que telle situation aurait pu être développée, tel personnage aurait mérité d’être approfondi. »

En fait, mon rôle, dans ce cas précis, c’était de susciter une création à partir d’un bloc initial. Cette  nouvelle sort bientôt : Marc m’a fait l’honneur de réfléchir à mes propositions  et de travailler encore un peu.

Et quelques fois ça va être complètement différent, comme qui s’est passé il y a peu avec  Gaëtan Brixtel. Tu le connais : on a fait la lecture d’une de sa nouvelle « Mini-Pouce » lors d’un de tes Apéros Polar. Gaëtan m’avait envoyé une nouvelle. Dans ce texte il se met dans la peau d’un  jeune adolescent qui appartient à une bande ; ces ados a priori sans histoire en arrivent à se livrer sur une tournante avec une de leurs copines. C’est d’une, wouah, c’est d’une…, une écriture très simple et il va directement là où ça fait très mal. Là où ça fait très peur aussi. Mais il me manquait un petit quelque chose dans ce texte. Notamment dans les sentiments que ressent cette fille. Il fallait creuser selon moi, ne pas être univoque.

Donc on va échanger là-dessus avec un auteur. Il va me répondre s’il est d’accord pas d’accord. Et puis il va retravailler quelques petites nuances dans la façon d’amener les choses.

Il est probable qu’un autre éditeur pourrait avoir un avis complètement différent. C’est juste un travail que tu fais avec l’auteur pour essayer de rendre le texte…. Heu… meilleur ? Tu vois quelque chose qui te heurte et tu vas l’amener à s’améliorer. Quelquefois aussi,  tu reçois un texte totalement abouti. Mais parfois, six mois plus tard, tu relis des choses et tu te dis tiens j’aurais dû là,  peut-être… lui faire reprendre…Enfin tu vois.

GVL : c’est une vraie relation de confiance que tu entretien avec tes auteurs.

JD : Absolument. Les auteurs ont en général vraiment besoin d’un regard bienveillant sur ce qu’ils font.

GVL : c’est plus facile de leur donner confiance ou alors c’est plus simple pour toi d’avoir confiance quand que tu écris un texte

JD :  La confiance en moi-même… bof ! Quand j’ai un texte qui sort, je me dis ! merde, tout ceux que j’ai critiqués ils vont regarder le truc, ils m’attendent au tournant.

GVL : Du coup tu te mets seule la pression en tant qu’auteur ?

JeanneJD : Ben oui, même si je crois qu’ils sont reconnaissant du regard que je porte car ils le savent :  il n’est jamais négatif. Il m’arrive bien sûr de corriger des textes, tout le temps, même,  mais c’est toujours dans le respect de l’auteur. Même si je l’avoue c’est plus facile de corriger des gens que je ne connais pas. Même chose pour les refus ! Je pense que la relation de confiance s’installe parce que je les respecte en tant qu’auteur et du coup eux respectent mon avis.

GVL : Dis-moi, tu as d’abord édité des livres papier ; le livre numérique on ne faisait qu’en voir les prémices, et  aujourd’hui tu m’éditeq plus que sur support numérique.

Tu as édité des romans, maintenant tu édites des nouvelles. Le boulot est le même ?

JD : Oui totalement.

C’est vrai que chez Ska, le gros de la production ce sont des nouvelles mais il y a un petit filet constant de roman. Il nous arrive d’éditer des novellas. Il y a aussi nos coups de cœur. Brigitte Guilhot qui avait écrit «  La peau sur les mots », un très beau texte avec Hafed Benotman, vient de nous soumettre une grosse novella d’une centaine de page. C’est l’histoire d’une nègre et c’est à la fois drôle et cruel, noir et très sensible. Je suis très contente parce qu’elle a une très très belle écriture, Brigitte. Donc il nous arrive de faire des textes plus longs.

Tout cela ça donne du travail, la relecture avec les auteurs, la gestion des corrections, le bons à tirer, les contrats… C’est du boulot tout cela, mine de rien.

GVL : Justement, moi je ne vois pas ce boulot-là. Je vois bien le conseil, la correction mais le reste, je ne connais pas !

JD : C’est très comparable avec une maison papier classique. On travaille avec l’auteur sur son texte ; une fois abouti, chez Ska on envoie les textes à une correctrice pro. Je l’appelle Einstein parce qu’elle a un œil, un œil atomique. Forcément elle est bonne sur le plan orthographique et sur la syntaxique. Mais de temps en temps on a des échanges de questions, des interrogations et même des propositions de reformulation. Alors je gère, je valide ou pas ses corrections,  je retravaille ça avec l’auteur jusqu’à qu’il nous donne le bon à diffuser. Je lui donne les délais pendant lesquels il doit travailler et une fois tout validé, j’envoie ça à la maquettiste.

Ensuite la maquette revient, on vérifie à nouveau la mise en page et on passe à la maquette définitive.

C’est vraiment le même boulot, le travail d’édition est quasi identique si ce n’est que à la place d’un livre papier, à la fin  on a un fichier numérique.

Et près distribution, diffusion, communication…

GVL : En tant qu’éditeur numérique vous êtes aussi diffuseur ?

JD : Non, on a un distributeur diffuseur, il fait partir les fichiers numériques dans les tuyaux, ils gèrent la vente, nous fait des états financiers, contacte les plates-formes pour des mises en avant… etc.

Il y a peu, on a changé de distributeur, justement. La diffusion c’est aussi la visibilité du livre, c’est l’action de promotion, s’assurer que l’on est bien dans les bons endroits. La diffusion que ce soit pour le papier ou le numérique c’est le nerf de la guerre littéraire. Et pour assurer à nos auteurs une belle visibilité. Non pas que nous ayons des visés commerciales ou que l’on cherche à se faire du fric. Non, mais  nous aimerions pouvoir reverser à nos auteurs des droits plus conséquents.

BO35GVL : Il existe en bibliothèque des projets  de développement du numérique. A Paris, la municipalité a opté pour le projet mis en place par le ministère de la culture, PNB (Prêt numérique en bibliothèque). Il existe d’autres projets de numérique plus intéressant à mon avis en marge de celui-ci, mais bon c’est un autre débat… Ma question est : souhaitez-vous chez Ska participer à ce type de projet ? Est-ce qu’un jour je pourrai proposer des nouvelles noires de chez Ska à l’emprunt sur notre portail à nos lecteurs ?

Jeanne D : Nous en serions ravis. Nous ce que l’on veut c’est être lu, que nos auteurs soient lu. On a été les tout premiers à autoriser la lecture en streaming avec youbooks. On ne met pas de DRM sur nos fichiers et c’est délibéré. On souhaite que les lecteurs puissent prêter leurs fichiers, les offrir comme ils le faisaient avec leur livre papier avant. On trouve que c’est normal que le lecteur soit vraiment propriétaire de son livre numérique. J’aimerais bien que l’on soit rapidement présent dans les bibliothèques, oui bien sûr.

Malheureusement,  la nouvelle est vraiment très peu développée en France. C’est un genre qui n’a pas encore vraiment sa place. Et le numérique pourrait-être le bon support pour lui donner l’occasion de se développer d’avantage. Les gens pour la plupart disent qu’ils n’ont pas le temps de lire. Or,  tu me diras si comme moi, tu passes beaucoup de temps sur ton ordinateur à des bêtises  ou si tu loues des trucs stupides ou si tu regardes ta télévision, et alors forcément tu en perds du temps ! (rire) . Si tu n’as pas beaucoup de temps tu peux prendre du plaisir à rentrer dans quelque chose de plus court. Il y a des gens qui ont le temps et le besoin de s’installer dans du long, et qui raffolent de gros pavés.  Et puis il y a des gens qui ne peuvent lire que dans les transports, sur smartphone, sur tablette, ils peuvent lire quelque chose de court, un univers prenant mais qui va leur laisser du temps par ailleurs.

Le numérique ça donne aussi l’occasion d’éditer des jeunes talents qui, étant débutants, n’ont aucune chance ou infiniment peu de chance dans le secteur classique. Cela nous permet de cultiver notre différence, de faire notre petit bonheur dans un petit trou, une petite niche, comme on dit.

GVL : Pardonne moi de passer du coq à l’âne mais lors d’une précédente discussion tu me disais «  papier et numérique c’est comme fromage plus dessert », j’ai beaucoup aimé cette formule qui ne plaira peut-être pas à nos amis libraires.

JD : Écoute, les libraires s’ils le veulent, s’ils veulent être sur ce créneau-là, s’ils veulent s’associer  au numérique ils ont maintenant de plus en plus d’outils pour cela. Il y a par exemple une boite qui s’appelle ipagine qui permet aux libraires de vendre du livre numérique même s’ils n’ont pas leur propre site. C’est un domaine qui se développe, le ministère a mis de l’argent pour son développement. Si nos libraires se retranchent en disant je vends du papier, le numérique je ne sais pas faire, je ne veux pas faire, ils ont souffriront. S’ils disent, moi je vends des textes, le lecteur peut lire sur différents supports, c’est de la lecture et la littérature. Mon boulot c’est du conseil, c’est de proposer des textes variés, ils gagneront sur tous les plans. Les libraires ont toute leur place dans ce circuit. Il faut qu’ils le veuillent.

GVL : C’est vrai que c’est des libraires qui nous vendent les livres numériques avec PNB en bibliothèque.

JD : Ils ont toute leur place à prendre. C’est un monde qui est en train de s’inventer. Il faut y aller avec tout ce que l’on a appris de l’édition musicale qui a vu en premier la pratique des consommateurs changer. Il faut apprendre de ça, rester attentif, ouvert, protéger les secteurs les plus faibles et développer le reste. Vraiment, les libraires doivent se mettent au numérique. Ils doivent en être un des acteurs majeurs. Malheureusement les librairies indépendantes ferment les unes après les autres. Espérons que le numérique leur apporte un second souffle.

GVL : Libraire est un métier très difficile, et il est à réinventer lui aussi. Un peu comme notre métier de bibliothécaire qui est surement moins pénible ?

 

Retrouvez les épisodes précèdents

Ces dames du Noir 5.1 ICI

Ces dames du Noir 5.1, là

A suivre surement…

 

15 réflexions sur “Ces Dames du noir 5.3 : Dialogue avec une grande dame du noir, Jeanne Desaubry.

  1. Ah quel plaisir de retrouver Jeanne ! Une auteure que j’ai rencontré lors de la remise de prix du balai en or. Elle est sympa comme tout. Je connais aussi son travail avec SKA. En tout ca, j’en apprends toujours plus en lisant tes rdv de Dames en noir. Merci

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