La chambre des diablesses, Isabelle Duquesnoy

Le livre La chambre des diablesses d’ Isabelle Duquesnoy. Paru le 2 février 2023 chez R. Laffont. 21€. (373 p.) ; 24 x 16 cm. Réédité en poche le 7 mars 2024  en Pocket. Roman, n° 19154. 9€. (443 p.) ; illustrations en noir et blanc ; 18 x 11 cm

4e de couv :

La Chambre des diablesses

Ce jour de février 1680, on brûle en place de Grève. Trente-six condamnés sont menés au bûcher, mais la foule n’a d’yeux que pour une seule : « la Voisin ». Accusée de diablerie, l’empoisonneuse préférée de la Cour expie là l’affaire des poisons, qui fit trembler jusqu’au Roi-Soleil. « Allez tous vous faire foutre ! » sera son dernier mot, hurlé entre les flammes…

Combien de secrets emporte-t-elle ? Seule sa fille, Marie-Marguerite, pourrait les révéler pour sauver sa tête. Des philtres d’amour, des sortilèges et des messes noires, elle a tout vu, tout su – à commencer par les noms de ses très nobles clients. Mais qui l’écoutera ?

 

L’auteure : Isabelle Duquesnoy est née à Paris en 1960. Diplômée d’histoire et de restauration du Patrimoine, elle a dirigé l’École supérieure de restauration des œuvres d’art de Sienne. Elle a aussi exercé l’expertise et le négoce d’art.  Ecrivaine et auteure de romans historiques, elle a publié de nombreux livres, dont les remarqués La Redoutable Veuve Mozart (prix des Musiciens, Paris, 2021), L’Embaumeur ou L’Odieuse Confession de Victor Renard (prix du Roman, Saint-Maur en Poche, 2018 ; prix Passeurs d’encre, Bayeux, 2018), La Pâqueline ou Les Mémoires d’une mère monstrueuse. Ses romans se caractérisent par son humour jubilatoire, ses dialogues réalistes dans un récit historique et littéraire riche. Elle vit en Corse depuis 30 ans, car c’est le berceau de la famille de mon mari.

 

Extraits :
« Se relevant sans bruit, Marie-Marguerite avait compris. Sa mère était passée du camp des devineresses à celui des empoisonneuses. Malgré les nombreuses fois où elle l’avait accompagnée à la vente de ses produits, elle n’avait jamais eu à soupçonner l’objet de son trafic. Ni sa gravité. Tout était si bien rodé ! La Voisin s’introduisait à la cour comme marchande de fruits ou de parfums, offrant des eaux pour embellir la peau du visage ou des pâtes pour adoucir le teint. L’enfant l’avait vue se lier avec les servantes et les valets des grandes maisons, ou même offrir de petits présents aux blanchisseuses attachées aux nobles foyers. Pas de quoi alors alerter sa candeur d’enfant sage.
La révélation la fit chanceler. Au bord de la nausée, elle se pencha de nouveau, pour tout savoir.
La scène se poursuivait, apparemment pour la plus grande satisfaction des parties qui n’avaient plus besoin de chuchoter. »
« Debout sur le coffre glissé sous la fenêtre, c’est toi, ma fille, qui repérais ces femmes aux visages mordus par les intempéries, et j’les prenais en pitié, parce que j’aurais pu être à leur place. Je n’ai jamais noté le nom de ces malheureuses, du moins de celles qui m’ont acheté un remède à leurs tracas. J’ai souvent dû insister pour les convaincre d’utiliser mes poisons violents, présentant l’avantage de ne laisser aucune trace après la mort. “Sans quoi, vous serez immédiatement soupçonnée !” leur disais-je. “Que croyez-vous réussir, toute seule avec vos petits moyens et vos faibles connaissances ? Une soupe d’épines pour qu’il se troue le gosier ? Allons, croyez-m’en : dès la première cuiller, il vous tuera avant de s’étouffer ! Non, non… La seule méthode possible est la mienne.” Elles n’ont pas beaucoup de manières, mais elles ont des hésitations… Une bonne faiseuse comme moi, ça doit aussi savoir persuader sans forcer la main. »
« — Concierge, es-tu là ?
Marie-Marguerite a l’impression d’imiter sa mère en train de convoquer l’esprit des morts… Car Mme Monvoisin avait cette prétention de parler avec Saint Louis, d’appeler Jules César à toute heure de sa convenance, de s’entretenir intimement avec Shakespeare, affirmant détenir ce pouvoir grâce à son fidèle assistant, Lucifer, ange déchu, devenu maître absolu du royaume des Ténèbres.
— Geôlier, auras-tu pitié de moi ? J’ai vingt et un ans. Je pourrais être ta fille, et je meurs de froid dans ta prison.
Mais, ici, personne ne lui répond jamais. »
« Les fastes de Louis XIV comme ses perruques ont couvert la décadence des aristocrates, leur crédulité, leur corruption. Et la condition pitoyable des femmes, riches comme pauvres. »

 

Chronique d’une Flingueuse : Le Billet de Chantal

La chambre des diablesses, Isabelle Duquesnoy

 

L’on sait que le poison est une arme utilisée depuis des lustres, depuis l’Antiquité. Voir par exemple la tentative de Néron pour se débarrasser de sa mère Agrippine…! C’est un thème souvent traité au cinéma, notamment dans ce délicieux film, Arsenic et vieilles dentelles de Franck Capra, où l’on voit deux adorables petites vieilles empoisonner allègrement de vieux messieurs, par charité .. Le poison fait partie de notre imaginaire mais aussi de la réalité. Rappelons-nous encore Marie Besnard au siècle dernier, suspectée d’avoir empoisonné son mari et quelques autres …

 Le récit d’Isabelle Duquesnoy nous (re)plonge dans une des plus célèbres et assez terrifiantes histoires d’empoisonnement.

Saut dans le temps : nous sommes dans la deuxième moitié du XVIIèS., sous Louis XIV. Deux femmes vont entrer dans les annales des procès célèbres, deux « empoisonneuses » avérées, la marquise de Brinvilliers et Catherine Montvoisin, dite la Voisin.  Isabelle Duquesnoy va conter l’histoire de cette dernière, et c’est particulièrement saisissant.

Le récit donne la parole à la fille de la Voisin, Marie-Marguerite, emprisonnée elle aussi, parce que fille d‘empoisonneuse. Il faut dire que, sans trop participer, Marie-Marguerite était aux premières loges et aidait sa mère, malgré quelque répugnance parfois. On a en alternance les écrits de Marie-Marguerite adressés à La Reynie, officier de police qui a fait arrêter sa mère, et la vie de la Voisin.

La Voisin commence petitement : accoucheuse, avorteuse, diseuse de bonne aventure … mais elle a un gros défaut : elle aime l’argent, et elle se rend vite compte que ceux qui la consultent sont prêts à tout entendre, tout croire, pourvu que cela aille dans leur sens. L’argent entrant, sa réputation lui amenant de plus en plus de clientèle, elle s’enhardit et offre une oreille bienveillante aux pires demandes. Se débarrasser d’un mari, d’un amant, quoi de plus aisé avec elle ! Mais il y a de la concurrence, elle n’est pas la seule sur la place … Aussi entre-t-elle dans une espèce d’escalade de l’horreur pour satisfaire ses clients, souvent des clientes, et de la plus haute extraction, puisque la maîtresse de Louis XIV, Mme de Montespan en personne, sera impliquée dans cette affaire.  On reconnaîtra à la Voisin un nombre effarant d’assassinats d’enfants en bas âge, dûment enlevés par des sbires à sa solde, pour recueillir leur sang et autres organes, et les utiliser dans ses mixtures. C’est parfaitement effrayant.

Ce qui est formidable dans ce récit, c’est la langue de l’auteure, sa verve, qui fait revivre une époque qu’on croit connaître un peu, et qui s’avère encore plus hors norme qu’on ne pensait. Nul remords, nulle limite dans les agissements, aucune retenue dans la vie de la Voisin, femme au caractère bien trempé. On pourrait presque la voir comme une meneuse de revue, tant elle règne sur sa maisonnée et ses clients, souveraine, tantôt odieuse tantôt flatteuse, libre et de son corps et de ses choix, vulgaire dans son langage, ses désirs de luxe mais parfois semblant soucieuse du futur de sa fille … C’est le portrait d’une femme qui laisse le lecteur pantois. Splendeur et misère d’une époque, illustrée par la vie de la Voisin. On ressent une vague empathie peut-être pour Marie-Marguerite, entraînée dans cette spirale infernale, à la fois curieuse des agissements de sa mère et rebutée quand même par certains aspects, mais incapable de s’extraire de son milieu familial. Il faut dire que le sort des jeunes femmes issues du peuple n’était guère enviable. Elle finira dans les prisons du royaume, malgré ses suppliques à La Reynie.

Cette histoire se dévore, à condition peut-être de ne pas avoir l’âme trop sensible, fascinées que nous sommes par la Voisin !

 

Autres extraits
« Monsieur, vous avez fait arrêter la Voisin, ma mère, pour « actes de diablerie », puis vous l’avez interrogée trois jours durant.
On raconte qu’elle a été passée à la question, mais je n’en crois rien. Le jour de son exécution, j’ai pu remarquer qu’elle ne portait aucune marque de torture sur le corps. Les autres condamnées avaient les genoux broyés par les coins de bois, les orteils arrachés par les cisailles, elles étaient incapables de marcher jusqu’à leur bûcher ; vos gens les y portaient.
Ma mère, non.
Elle a même refusé le bras du prêtre et donné des coups de pied dans les brindilles.
Je n’ai que vingt et un ans, mais je sais raisonner : si ma mère ne portait aucune trace de supplice, cela signifie qu’elle a immédiatement avoué ses crimes ; avant même que vos exécutants ne la touchent, elle a reconnu ses maléfices. »
« Dix jours avant ma mère, c’est Mme Brunet que vous avez arrêtée et conduite au donjon de Vincennes. Ma mère lui avait prédit un changement de résidence, dans une demeure flanquée de tourelles. Puisque cette prison est effectivement entourée de quatre tours, peut-on conclure qu’elle avait réellement un don divinatoire ? »
« Certains lecteurs me reprocheront des invraisemblances. Pourtant la réalité sous le règne du Roi-Soleil fut celle-ci : folle, grossière, assassine, démoniaque. Une hydre maléfique qui s’était introduite dans la cour et étendue jusqu’aux faubourgs. Je l’ai domestiquée avec quelques gaietés de mon cru par certaines scènes qui pourraient apparaître pures comédies. Mais les minauderies et les situations correspondent bien à l’époque. Les fastes de Louis XIV comme ses perruques ont couvert la décadence des aristocrates, leur crédulité, leur corruption. Et la condition pitoyable des femmes, riches comme pauvres. De sorte que le roi, épouvanté par les turpitudes mises au jour dans cette affaire, dut mettre à l’abri de toutes représailles la noblesse courtisane, la protégeant par contrecoup de ses délires, révélés notamment par la plus célèbre des empoisonneuses, la Voisin. »

 

Lu dans le cadre de 5 défis littéraires

Mars au féminin. 📚 Challenge 📚

– Challenge Thriller et polar 2023- 2024 chez Sharon 

– Challenges Les Dames en Noir 2024 chez Zofia

  le tour du monde en 80 jours chez Bidib (France)

– Challenge Juillet Sororité chez Stelphique et année Sororité chez Collectif Polar

17 réflexions sur “La chambre des diablesses, Isabelle Duquesnoy

  1. Je suis prête aussi à partir à l’aventure pour découvrir le terrible destin sordide de cette femme. Tu en parles merveilleusement bien, ça donne très envie découvrir cet épisode de célèbre du 17e siècle. Et ça tombe bien c’est mon époque préférée avec le 18e 😁
    Merci pour la découverte !

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