Victor, Guy Rechenmann

Le livre : Victor de Guy Rechenmann. Paru le 19 mars 2024 chez Les éditions  Cairn dans la collection Du noir au Sud. 12€. (280 p.) ; 18 x 12 cm

4e de couv :

Un cold case, un cas d’école comme dit le boss, Plaziat, patron du commissariat de Castéja à Bordeaux. Voilà une affaire qui date d’une vingtaine d’années où il est question de Fred et de son chat, Victor, d’une gardienne d’immeuble portugaise, Constança, d’insolites choix de vie, de gants dépareillés, de roses noires, de divinités romaines et finalement d’un assassin fantôme… en somme une histoire à rendre fou n’importe quel enquêteur ! Mais résolution il y aura, car ce serait mal connaître Anselme Viloc, le flic de papier, ce savoyard tombé définitivement sous le charme de la presqu’île du Cap-Ferret et de ses habitants, dont la particularité est de ne jamais abandonner et de ne jamais négliger le moindre indice, aussi farfelu soit-il. En outre cette huitième enquête révèle un récit moins léger qu’il n’y paraît de par son côté philosophique à propos du libre arbitre et du déterminisme. Une sacrée énigme aux méandres hallucinants ! Un proverbe persan dit : « À l’hôtel de la décision, les gens dorment bien. Il est bientôt l’heure de payer la nuit et de quitter la chambre.

 L’auteur : Né en 1950 à Libreville, Guy Rechenmann avoue être un rêveur et un poète. Le hasard, il n’y croit guère, préférant parler de coïncidences, son thème de prédilection… Il attend 2008 pour publier un recueil de poésies et de nouvelles « La Vague » (Ecri’mages). Vont suivre plusieurs romans dans lesquels apparaît Anselme Vitoc, un flic atypique et obstiné qui lui permet de revisiter de façon inattendue le genre policier :Flic de papier, Fausse note, Une étoile en enfer et L’extravagante histoire de Lucia Fancini sont parus dans la collection Du Noir au Sud .À la place de l’autre a obtenu le Prix virtuel du Polar 2016, et a été finaliste du Prix Cognac 2016). Quatrième volet des aventures d’Anselme, Même le scorpion pleure, est paru dans la collection Polar Cairn.

Extraits :

« Allez! Prêtez bien l’oreille et laissez-vous porter par le récit. Dans le premier épisode, notre héros s’appelle Fred, un garçon d’une vingtaine d’années. Alors, fermez les yeux et replongeons-nous, avec Fred, notre nouveau guide, dans un Bordeaux plus sombre qu’aujourd’hui, aux quais peureux animés par toute une flopée d’enseignes aux lumières rougeâtres et aux abattoirs encore en activité. Allons à la rencontre d’un flic brillant. Brillant, mais curieux. Disons aussi brillant que curieux, René Lacorde. « La brillance de l’esprit n’a d’égal que le terne de son enveloppe », avait conclu le jury à l’issue de son examen de commissaire, c’est vous dire! L’enquête à laquelle ce sibyllin fonctionnaire émérite va être confronté a fait la une de tous les quotidiens à l’époque et ceux, qui ont encore la mémoire en éveil, se souviennent de cette étrange affaire …. « 

« Fred a pris connaissance des trois possibilités, comme s’il devait choisir un chien à la SPA, vite, sur le gaz… Celui-là est tatoué, celui-ci est polisson, celle-là a été opérée. « Surtout, ne prenez pas le cocker noir et blanc, il mord. » Son choix confine à l’adoption, car quoi qu’il en soit, il repartira avec un animal. Tout « adoptant » éprouve un sentiment de satisfaction saupoudré de confettis de bonheur avant, pendant et souvent après l’épilogue. « Cache ta joie » est plutôt le slogan de Fred en cette fin d’après-midi. Victor le sent et, pour le rassurer, lui lèche – ou plutôt lui râpe – l’intérieur du poignet, comme pour signifier qu’il ne lui en voulait pas une seconde de ne pas avoir envisagé d’adopter un chat. »

« Fred a conscience de sa tristesse, il relativise, prend acte, respire et relit une dernière fois en diagonale les trois feuillets. Il les connaît par cœur. À la fin de la relecture, il recommence à transpirer, le doute s’invite à la table. Comme au bridge et aux cases à cocher, ils sont maintenant quatre : l’inquiétude, la peur, l’apaisement, et le petit nouveau, le quatrième, le doute. Les annonces sont timides, les enchères hésitantes. Fred doit choisir sa place, il a pourtant la connaissance des jeux, sauf un. Aucun de ceux qu’il connaît ne lui semble meilleur que l’autre. Mais dans cette partie, seule une couleur pourra remplir le contrat, il va devoir l’afficher, un sans-atout ne s’envisage pas. L’autre différence sera que, à la fin, les trois autres devront faire le mort, pour de bon. »

 

Victor – Guy Rechenmann

par Jeanne Faivre d’Arcier

 

Une phrase de Catherine Rechenmann a piqué ma curiosité la semaine dernière quand Guy, son mari, m’a offert ce livre : « Des lecteurs et des lectrices ont avoué qu’ils n’y comprenaient rien… »

Bon, je me suis dit :« Qu’est-ce que je vais y comprendre, à ce bouquin, auquel de afficionados de l’auteur ne pigent que pouic ? »

 Je l’ai ouvert, ce roman, et j’ai vu qu’il s’agissait d’une affaire macabre non élucidée qui avait agité les sphères policières au commissariat de Castéja, à Bordeaux, dans les années 70/80 et notamment le supérieur de Viloc, le commissaire Plaziat, et son prédécesseur un dénommé Lacorde. Lacorde le bien nommé puisqu’il va tenter de se pendre, déprimé par son échec à résoudre ce cold case à la sauce Anselme Viloc, le personnage que Guy  Renchenmann nous présente dans ce polar improbable.

Improbable certes. Car, franchement au début, j’ai pensé : c’est drôle, enlevé, plein d’humour et de citations inattendues de Victor ( l’autre, Hugo, l’écrivain, ) de Voltaire, de Sénèque et autres philosophes grecs et romains, mais on ne sait pas où il va,  notre ami Guy. Et peut-être qu’il ne le sait pas non plus.

Alors je me suis laissée porter sans trop deviner où ça allait m’emmener, cette histoire. Et moi qui aime nager, je me suis retrouvée en été sur le Bassin d’Arcachon, à me laisser porter au fil du courant. L’eau était fraîche mais pas trop, juste à la bonne température, le courant assez vif, mais pas trop non plus, un petit 80/85, donc j’avançais rapidement sans trop me démener à nager la brasse et je regardais le paysage défiler alentour, c’était très agréable.

Autour de moi, il y avait le Bordeaux tout noir d’avant la rénovation de la ville et son grand blanchissement, ce Bordeaux d’autrefois que Guy nous décrit avec nostalgie et qui m’a touchée parce que le Paris de mon enfance ressemblait beaucoup à ça. (Je me souviens des trajets à dix ans dans la dauphine vert émeraude de mon père lorsqu’il m’emmenait chez le dentiste et que nous longions le musée du Louvre couvert d’une suie brunâtre qui le rendait fantomatique.) Il y avait les quais mal famés de Bordeaux, le quartier des Chartrons et ses beaux immeubles du dix-septième et dix-huitième siècles, mais saturés d’humidité à en paraître moisis, bouffés par le temps et noircis par les gaz d’échappement de l’époque tout bagnole. Et puis des personnages improbables, eux aussi, se sont mis à défiler : Fred, le héros, une sorte de raté flamboyant, beau mec naïf et fragile, un peu magasinier, un peu musicos, un peu orphelin et affligé d’une mère détestable. Fred partage avec son chat Victor un studio au deuxième étage d’un immeuble mal famé des Chartrons aussi sombre qu’une boîte de cirage. Lequel gato Victor va s’avérer, comme les chats des mythes de l’Ancienne Egypte, avoir des dons mystérieux et une influence sur sa destinée. Il y a une concierge portugaise, Constanza Rodrigo qui est fan de golf et invite les locataires à des parties clandestines à trois ou quatre dans sa loge à des fins non pas sexuelles, rassurez-vous, mais golfiques et curieusement alcoolisées où les gagnants ont droit à un verre et les perdants à se troncher presque jusqu’à ce que mort s’ensuive en s’enfilant une bouteille entière d’apéro. On croise aussi les copains musicos de Fred, des immigrés non désirés diraient d’aucuns aujourd’hui. Passe un curieux visiteur du soir sapé comme un Milord, un peu séducteur, un peu charlatan, un peu hypnotiseur et surtout roi de l’embrouille : il se dit représentant d’une société des Parques et l’on imagine les fileuses de destin tapies dans une grotte obscure à tramer leurs saletés. L’embrouilleur va proposer à Fred des contrats en option pour changer de vie, contrats sulfureux qui sont décrits avec forces détails ubuesques et dont le héros ne se souviendra plus quand il aura coché la case de son choix. On découvrira aussi avec répulsion le fameux commissaire Lacorde qui a une voix de fausset affreusement désagréable et qui repousse tellement du goulot que se collègues l’évitent et que les témoins ou les malfrats qui ont la malchance de le subir en interrogatoire en gardent un souvenir épouvantable.

J’oublie le notaire croisé lors d’un séjour à l’hosto, la belle étudiante en psychiatrie Adeline, des flics paumés, des chiens pelés, des rats crevés (enfin peut-être) une chute mortelle, des chansons de Jacques Brel, de citations littéraires et scientifiques à la pelle et les poèmes que l’auteur adore glisser dans ses romans.

Donc il y avait tout ce bazar poético comique au fil du courant qui m’emportait tout au long de cette lecture. Je me suis laissée allée sur la vague en m’amusant beaucoup et me disant qu’après la période assez sombre que je venais de traverser, c’était exactement le genre de bouquin que j’avais envie de lire. C’était foutraque, inattendu, bourré de digressions qui venaient me perdre encore plus. Un mot sur les digressions. C’est tout un art, la digression. Le maître du genre c’est Philippe Jaenada qui au milieu d’une scène tragique d’un roman  historique, vous raconte qu’il s’est cassé une jambe en rentrant chez lui après avoir passé une soirée à s’alcooliser à un cocktail littéraire et à s’engueuler grave avec la moitié des participants et qui vous expose pendant vingt-cinq pages les conséquences néfastes de cet incident détestable sur sa vie personnelle, ses relations de couple, son travail d’écrivain, ses problèmes financiers et ses relations avec son banquier. Vous êtes complètement largués. Et Jaenada vous ramène en une ligne et deux traits de plume à son sujet initial. Difficile l’art de la digression. Et pif, vous repartez dans l’histoire qu’il vous raconte comme un bon petit soldat qui marche au pas. Et je dois dire que Guy Rechenmann se tire plutôt bien de ces échappées digressives.

Bon alors où on en est avec ce pauvre Victor et ses choix cornéliens (tiens au fait, il n’a pas cité Corneille dans « Le Choix de Victor », Guy. Molière peut-être, enfin, je crois, mais pas Corneille, ni Racine. Mais moi aussi je m’égare, cher Edgar, par contagion renchemanienne sans doute…

Mais revenons au cold case… qui n’en n’est peut-être pas un, mais chut, vous le verrez vous-même en suivant les pérégrinations de Victor et de ses ascendants à Cleveland dans l’Ohio, sur les traces d’un célèbre illusionniste américain du début du vingtième siècle, d’un as de la pantomime et, restons français, du mime Marceau.

En réalité, contrairement à ma première impression, l’auteur savait où il allait en le construisant, ce polar. Polar qui n’en est pas un, ce qui ne lui enlève rien de son charme, loin de là.

Il est comme les chats, Guy. Il retombe parfaitement sur ses pattes.

 

Lu dans le cadre de 2 défis littéraires :

– Challenge Thriller et polar 2023- 2024 chez Sharon 

  le tour du monde en 80 jours chez Bidib (France)

21 réflexions sur “Victor, Guy Rechenmann

  1. Au delà du scénario (et du chat !) , le texte pourrait m’intéresser tout simplement pour son cadre bordelais bien développé apparemment car c’est la métropole de part chez moi, donc elle a une place particulière dans mon coeur.
    Merci pour la découverte ☺️

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