Richesse Oblige – Hannelore Cayre

Le livre : Richesse Oblige de Hannelore Cayre. Paru le 5 mars 2020 chez Métailié dans la collection Noir Autres Horizons. 18€. (219 p.) ; 22 x 14 cm

4e de couv : 

Richesse oblige

Dans les petites communautés, il y en a toujours un par génération qui se fait remarquer par son goût pour le chaos. Pendant des années l’engeance historique de l’île où je suis née, celle que l’on montrait du doigt lorsqu’un truc prenait feu ou disparaissait, ça a été moi, Blanche de Rigny. C’est à mon grand-père que je dois un nom de famille aussi singulier, alors que les gens de chez moi, en allant toujours au plus près pour se marier, s’appellent quasiment tous pareil. Ça aurait dû m’interpeller, mais ça ne l’a pas fait, peut-être parce que notre famille paraissait aussi endémique que notre bruyère ou nos petits moutons noirs… Ça aurait dû, pourtant…

Au XIXe siècle, les riches créaient des fortunes et achetaient même des pauvres afin de remplacer leurs fils pour qu’ils ne se fassent pas tuer à la guerre. Aujourd’hui, ils ont des petits- enfants encore plus riches, et, parfois, des descendants inconnus toujours aussi pauvres, mais qui pourraient légitimement hériter ! La famille de Blanche a poussé tel un petit rameau discret au pied d’un arbre généalogique particulièrement laid et invasif qui s’est nourri pendant un siècle et demi de mensonges, d’exploitation et de combines. Qu’arriverait-il si elle en élaguait toutes les branches pourries ?

L’auteur : Hannelore Cayre est avocate pénaliste, scénariste et réalisatrice. Elle est l’auteur, entre autres, de La Daronne, Prix du polar européen et Grand Prix de littérature policière, ainsi que de Commis d’office. Elle vit à Paris.

 

 

 

Extrait : 
Vu que j’avais acheté l’encart le plus cher du Figaro pour annoncer en grande pompe le décès de tata, beaucoup de personnes étaient venues, mais aucune d’elles ne nous avait saluées. Mieux, il s’était créé entre ces gens et nous trois un vide, une sorte de cordon sanitaire qui leur permettait de s’isoler de notre infecte présence.
Qui étaient-ils tous ? Des copines de bridge ? Des gens qui enquillaient les événements mondains ? Des vioques venus célébrer la procrastination à mourir d’une de leurs idoles ? Aucune idée ! Huit mois que nous nous occupions d’Yvonne et nous n’avions jamais reçu la moindre visite dans son hôtel particulier à part celles de son notaire et de son banquier. Je suis néanmoins sûre que c’est nous que sa disparition affectait le plus. C’est qu’on s’y était attachées, à la vieille, surtout vers la fin où elle débloquait au point de nous chanter toute la journée, on ne savait pourquoi, Les Nuits d’une demoiselle de Colette Renard :

Je me fais sucer la friandise

Je me fais caresser le gardon

Je me fais empeser la chemise

Je me fais picorer le bonbon

Ce qui, à quatre-vingt-dix-huit ans, vous l’avouerez, ne manque pas de panache.

Alex notre indic livre son avis

Richesse Oblige – Hannelore Cayre 

Après « la daronne » j’étais ravie de retrouver l’humour caustique d’Hannelore Cayre. C’est encore une fois imparable.
Blanche de Rigny a beau avoir un nom à particule, elle n’a rien d’une aristo.  Fille d’un breton qui l’ignore depuis sa naissance et d’une mère morte en la mettant au monde, elle sait qu’elle détonne et ne se fait plus aucune illusion sur personne et encore moins sur elle-même. Handicapée suite à un grave accident, elle est mère célibataire à Paris. Elle partage tout son temps avec sa meilleure amie Hildegarde, hors norme sur tous les plans (mesurant près de 2 mètres, elle ne passe pas inaperçue) et handicapée comme elle.  Les deux amies travaillent au service reprographie du palais de justice, là où on grave sur CD toutes les procédures, les comptes-rendus d’écoute, les PVs. Chiant on pourrait croire. Sauf que chez Blanche, ce job lui ouvre de merveilleux horizons, telle la lecture d’un grand classique à la Zola qui dépeint tout ce qu’il y a de moche dans le monde; ce job lui révèle ce qu’il y a de pire en l’être humain, surtout celui qui est riche et profite de son pouvoir et de sa richesse pour se croire invincible et au-dessus des lois;  ce job qui de fils en aiguilles lui permet quelques petits plaisirs pas si inoffensifs que ça puisqu’elle copie les procédures pour les balancer sur les réseaux sociaux, aux journaux, aux lanceurs d’alertes etc. Et ainsi jeter en pâture les pourris protégés. Elle s’amuse également à marchander les listes de consommateurs de drogues interrogés comme témoins. Jusqu’au jour où elle découvre dans toutes ces affaires son nom « De Rigny » associé à une richissime famille mêlée à un scandale financier et écologique.. Blanche décide alors de s’amuser un peu avec ses « cousins »…
C’est décalé, caustique. Ça dénonce mais avec intelligence. Hannelore Cayre tape juste et fait mouche à chaque réplique. Blanche profite du système sans honte et on se prend à l’approuver tellement son raisonnement est imparable.  Elle est d’une lucidité déconcertante sur elle et sur le monde qui l’entoure. Elle semble n’éprouver aucune empathie pour l’espèce humaine, excepté pour sa fille Juliette, Hildegarde ou sa tante Soize qui l’a en partie élevée. On découvre également en parallèle l’histoire de sa famille qui remonte à la Commune et à la débâcle de 1870, expliquant comment une si « illustre » famille parisienne a pu engendrer au fin fond de la Bretagne,cette branche pourrie dans l’arbre généalogique des de Rigny.

Ce livre est une satyre intéressante du monde actuel. L’auteur dénonce mais avec ironie, elle met ses mots dans ceux de Blanche cette « gogole gouine » qui n’est à sa place nulle part et qu’on regarde avec dégoût et condescendance. Blanche observe le monde avec perspicacité, avec l’intérêt d’un entomologiste qui admire des fourmis. Et si je balance le numéro de téléphone de celle-là qui semble accro à la cocaïne, que va-t-il se passer? Blanche s’amuse, expérimente. Elle nous raconte, elle nous balance tout sans honte ni remord. Un roman noir, décalé, à l’humour grinçant et caustique, des personnages hors normes.Du grand art!

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