Vaste comme la nuit – Elena Piacentini

Le livre : Vaste comme la nuit de Elena Piacentini. Paru le 22 août 2019 chez Fleuve éditions dans la collection Fleuve noir. 19€90.  (312 p.) ; 21 x 14 cm

4e de couv :

« Des habitants qui ont avalé leur langue.
Une forêt où rôde un étrangleur de bêtes.
Trois maisons isolées en lisière de forêt et l’Eaulne pour frontière… »

La capitaine Mathilde Sénéchal n’aurait jamais imaginé retourner sur les lieux de son enfance, un petit village non loin de Dieppe. Mais quand Lazaret, son ancien chef de groupe, lui fait parvenir une lettre sibylline, elle comprend qu’elle va devoir rouvrir une enquête vieille de trente ans.

Qu’elle le veuille ou non, le passé ne meurt jamais. Il a même des odeurs, ces odeurs qu’elle sait identifier comme personne et qui sont aussi son talon d’Achille.

Il est temps pour elle de sonder sa mémoire défaillante et d’affronter la vérité.

 

L’auteur : Elena Piacentini est née en 1969 à Bastia. Elle est auteure et scénariste. Elle a créé Leoni, le commandant de police corse qui dirige la section homicide de la PJ de Lille, capitale du Nord dans laquelle l’auteure vit.  Des forêts et des âmes, finaliste du Prix des Lecteurs Quais du polar/20 Minutes et du Grand prix de littérature policière en 2015. Inspiré d’un fait divers, Comme de longs échos met en selle une nouvelle héroïne : Mathilde Sénéchal à la DIPJ de Lille. Il a été couronné dès sa sortie par le prix Transfuge du meilleur polar français.

 

Extrait : 
« Legal parti, Orsalhièr a réintégré ses pénates. Le contenu de la sacoche est étalé sur la table de la cuisine : une épaisse chemise cartonnée, une pochette et une feuille volante. Jehan verse le café dans les verres et s’assied.
– Ça rime à quoi, dis-moi, tous ces mystères?
– Le gros dossier concerne la disparition en 1987 d’une jeune femme de vingt-cinq ans, une certaine Jeanne Bihorel.
– Et ils l’ont retrouvée morte, je parie…
L’oeil sombre, Orsalhièr secoue la tête.
– Ils n’ont rien trouvé du tout.
Pas même un corps… L’instruction Bihorel appartient à ces vingt pour cent d’affaires non élucidées dont le temps lisse les stigmates en apparence seulement. Sous la surface, le travail de sape se poursuit à bas bruit. Un boulot de termites. Un jour, un souffle, et ne reste que la sciure. Le berger fait tintinnabuler sa cuillère en évaluant la pile de documents d’un œil critique. Son verdict est sans appel.
– Les flics, c’est comme d’autres pour la parlotte, moins ils en savent, plus ils écrivent.
– T’as pas tout à fait tort… Mais dans ce cas, il s’agit des gendarmes. J’ai à peine survolé les documents, tu sais.
– Et les autres papiers ?
– Des mains courantes concernant des malveillances diverses, dégradations de biens, vols et des animaux morts…
– Eh bé ! Si un saligaud s’en prenait à mes bêtes, je le pèlerais à vif, tu feras la commission à ton Titan quand tu le croiseras. Si tu en réchappes !
Les deux amis se regardent de travers. Mais le cœur n’y est pas. Ils se chamailleront une autre fois à propos des ours et des hommes, de la bestialité des uns et de la toute-puissance assassine des autres, de l’impossible cohabitation aux dires du berger, de la nécessaire préservation selon le photographe naturaliste. Orsalhièr va chercher une bouteille d’eau-de-vie et met sa tournée. L’offrande vaut cessation des hostilités. Jehan aspire une gorgée et fait claquer sa langue de satisfaction.
Bon, bon… Ces saloperies, il y a un rapport avec la fille qui s’est volatilisée ?
L’ex-flic hausse les épaules, incertain. Les faits consignés dans les plaintes semblent étrangers à l’affaire principale, hormis qu’ils sont circonscrits au même espace temporel et géographique. Raison pour laquelle Lazaret explique les avoir retenus. Orsalhièr abonde dans son sens. C’est parfois à la périphérie des enquêtes que dépasse le fil permettant de démêler la pelote. Et le nœud de vipères… » 

 

Le post-it de Ge

Avoir le dernier Elena Piacentini entre les mains c’est comme tenir le Saint Graal. Vous êtes bêtement heureux sans trop savoir pourquoi, ça vous met de baume au cœur et des papillon plein les yeux. Il faut dire qu’elle est près belle la couverture de son dernier bouquin, Vaste comme la nuit.

Et ce titre, n’est-il pas prometteur ? Ne nous invite-t-il pas au voyage voire même à la contemplation, que dis-je au rêve éveillé ! Vaste comme la nuit

Elena Piacentini a une place à part dans la littérature policière française. Elle est unique. Elle est une magicienne des mots.

Oh je sais il y a de nombreux excellents auteurs de polar et de noir à avoir une écriture sublime.  A sublimer le noir, à lui donner ses lettres de noblesses. A faire en sorte que les littératures policières soient le reflet du monde, de notre monde. Ils sont de plus en plus nombreux nos auteurs français à transcender la littérature à travers le prisme du polar et du noir. Ils sont un peu moins nombreux à le faire à travers une simple enquête policière. Et Elena est de ceux-ci. Elle a vraiment une singularité qui la démarque. Elle a ce don des mots, cette facilité pour les assembler, pour les épurer, magnifier chacun d’entre eux. Le mot juste à sa juste place, c’est ça le style Piacentini, Une écriture au cordeau pour nous faire ressentir chaque aspérité de l’âme humaine.

Comme le disait si bien Véronique son éditrice chez Au-delà du raisonnable, dans ses romans, Elena orchestre avec psychologie une humanité malmenée, souvent victime de ses choix entre l’ombre et la lumière.

Ici c’est à nouveau exactement ça !

Ici elle plonge le lecteur dans une ambiance fiévreuse et mystérieuse.

On retrouve ici Mathilde Sénéchal et Pierre Orsalhier . Sans oublier Adèle, la jeune ado que Mathilde a pris sous son aile avec bienveillance.

Mathilde si froide, si solitaire habituellement. Mathilde qui ose à peine avoir confiance en l’humain. Et Pierre Orsalhier, l’ancien flic retiré dans un petit village de la Haute-Ariège, délaissant flingue pour appareil photo. Ces deux-là tentent de s’apprivoiser. Et Adèle est là pour y veiller elle aussi ! Et puis il y aura toujours Lazaret dans les parages.

Ces quatre-là on les a rencontrés pour la première fois dans Comme de longs échos. On a appris à les connaître. Ici l’intrigue tourne essentiellement autour de Mathilde. Mathilde et son don olfactif. Mathilde allergique aux odeurs de menthe depuis son enfance.

Mathilde devenu capitaine de Police et qui repousse sans comprendre l’instant où elle affronterait son enfance, ou elle ferait parler son passé…

Aussi Lazaret, son chef de groupe tout juste parti à la retraite, se sachant condamné par la maladie, a choisi de l’aider dans sa quête.

Et Mathilde va la décider à reprendre le chemin du village normand où elle a grandit.  Le Petit-Caux, où elle a perdu une partie de ses souvenirs d’enfance suite à un accident de vélo.

 Aussi va-t-elle rouvrir une enquête vieille de trente ans. Avec Orsalière et Adèle, elle va remonter le temps jusqu’à l’été de ses 9 ans. Le jour où Jeanne sa professeure d’alto a mystérieusement disparu. Le même jour où Mathilde a perdu la mémoire à cause d’une chute à vélo dont elle n’a gardé qu’une cicatrice à la tête. Un fameux 24 juillet 1987.

Mais le passé est coriace, et les habitants du coin sont des taiseux,

« Des habitants qui ont avalé leur langue.
Une forêt où rôde un étrangleur de bêtes.
Trois maisons isolées en lisière de forêt et l’Eaulne pour frontière…« 

Notre auteure nous offre une plongée dans la transgénéalogie. Quand le passé conditionne le présent, quand la vie de chacun est réglée par ses secrets et ses drames.

Quand la vie de tout un village repose sur des querelles de cloché immémoriales. Quand les erreurs séculaires pèsent et régissent la vie de toute une communauté. Quand les secrets de famille gouvernent et conditionnent les rapports humains. Quand ceux-ci sont la cause de troubles affectifs qui se transmettent de parents à enfants.  Quand les non-dits sont les maîtres silencieux de nos destins et qu’ ils empoisonnent plusieurs générations.

C’est à tout cela que va être confrontée Mathilde en se confrontant aux gens de son passé. Et ce second opus met les femmes en lumière, ce sont-elles les gardiennes du passé, elle les survivantes. Ici Solange et encore plus Hortence sont les dépositaires de la mémoire collective. Mathilde va devoir les affronter et asservir son passé enfin d’accomplir cette quête personnelle qui devra la mener à sa propre résilience. Et la Mathilde adulte et Mathilde enfant devront elles aussi se réconcilier.

Aussi ce deuxième opus sonne comme la fin d’un cycle.  Elena Piacentini nous propose-t-elle une fin, met-elle un terme à sa nouvelle série. Les enquête de Mathilde Sénachal ne se résumeront-elles qu’à ce parfait diptyque ?  J’avoue que j’aurai aimé retrouver notre héroïne tant je n’étais attachée à elle et aux quelques autres héros récurrents de cette mini-série.

Mais je me console en sachant que je pourrais retrouver l’écriture sensorielle d’Elena auprès du commissaire Léoni et sans doute dans bien d’autres histoires que saura nous conter Eléna Piacentini. Car c’est certain, conteuse elle l’est dans l’âme pour faire ainsi si bien résonner ses mots avec nos émotions !

44 réflexions sur “Vaste comme la nuit – Elena Piacentini

  1. wahou ! Quelle belle chronique pour une auteure que j’aime énormément…. comme tu dis, c’est une merveilleuse conteuse qui nous révèle l’humanité des gens avec ses mots si bien ciselés…. j’ai hâte de lire « Vaste comme la nuit »… merci

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