Avis d’expert, saison 2 : Affaire n°1 : l’assassinat du duc d’Orléans.

Ce soir nous démarrons un nouvelle rubrique, les Avis de notre Expert change de registre. Elle va nous proposer une nouvelle série.

« Les grandes affaires criminelles »

Chaque semaine nous retrouverons une nouvelle affaire, ce soir c’est la première affaire et quel affaire !

Je vous laisse avec Cathie. Elle nous éclaire sur l’assassinat du Duc d’Orléans

 


Affaire n°1 : l’assassinat du duc d’Orléans.

 

L’assassinat :

  Le 23 novembre 1407, Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI, âgé de 35 ans, quitte à la tombée de la nuit l’hôtel Barbette,  résidence de la reine Isabeau de Bavière, situé dans le quartier du Marais, pour se rendre à l’hôtel Saint-Pol, le valet Thomas Courteheuse lui ayant fait croire que le roi Charles VI l’y attendait. Accompagné par une dizaine de ses gens, il emprunte la rue Vieille-du-Temple quand il est assailli par une quinzaine d’hommes armés sortis de la maison de l’Image-Notre-Dame, le visage couvert en criant : »A mort ! A mort ! ». Jeté au bas de sa mule, il est tué à coups de hache et d’épée. Une fois leur forfait accompli, et après que leur chef ait vérifié que le jeune prince était bien mort, les assaillants prennent la fuite par le rue des Blancs-Manteaux, se protégeant de la riposte des valets du prince en tirant force flèches et en jetant des chausse-trappes en fer.

  Arrivé sur les lieux moins d’une heure après, le prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville, avance rapidement dans son enquête. Les confidences des porteurs d’eau, venus ravitailler les chevaux et les hommes embusqués les jours précédents d’où l’attaque du prince a été lancée, tout comme les chausse-trappes, conduisent à l’hôtel d’Artois, résidence parisienne de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne et cousin de la victime. Le 25 novembre, quand le prévôt se présente au Conseil du roi afin de demander l’autorisation d’entrer dans les hôtels des princes pour perquisitionner, Jean Sans Peur avoue alors à ses proches être le commanditaire du meurtre de son cousin. Une fois réfugié en Flandre, il justifie son geste qu’il assume pleinement.

  Ce crime, sanctionnant une ancienne rivalité ponctuée de réconciliations éphémères, la dernière ayant eu lieu trois jours avant le meurtre de Louis, est le déclencheur de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. D’ailleurs, Jean Sans Peur sera lui-même assassiné quelques années plus tard, en septembre 1419, sur le pont Montereau, lors d’une entrevue avec le dauphin, le futur Charles VII. Le cycle de vengeance a complètement écarté l’idée même de justice.

  L’assassinat du duc d’Orléans illustre parfaitement une forme de violence « politique » pratiquée par les princes faisant appel à des tueurs à gages, fort éloignée des idéaux chevaleresques et des valeurs guerrières professées par leur commanditaires. Puissamment armés, le visage masqué afin de ne pas être reconnus, ils ont longuement préparé leur coup : cachés pendant plusieurs jours dans une maison de la rue Vieille-du-Temple, ils ont agi de nuit, par surprise et avec rapidité, commandés par un chef qui reconnaît sa cible avant de lancer l’assaut, puis vérifie que la tâche est effectivement accomplie avant d’ordonner la fuite. Ils ont fait preuve d’une violence extrême : la main gauche du duc est tranchée, son crâne à ce point entaillé que sa cervelle s’est retrouvée mêlée à la boue qui maculait la rue.

Le contexte historique :

 

  L’assassinat du duc d’Orléans se situe dans le contexte de la Guerre de Cent Ans ( 1337-1453). Le roi de France Charles VI étant atteint de démence c’est son épouse, la reine Isabeau de Bavière, qui assume la présidence du Conseil de régence par intermittence. En 1407, elle est assistée de deux personnalités adversaires, revendiquant chacune le pouvoir : d’une part, Louis 1er d’Orléans, frère cadet du roi ; d’autre part, Jean 1er, duc de Bourgogne, surnommé « Jean Sans Peur », cousin du jeune prince. Profitant d’une absence du duc Jean, le Louis d’Orléans fait éliminer les conseillers bourguignons assistant au Conseil de régence. Dès son retour dans la capitale, Jean sentant le pouvoir lui échapper, décide de riposter en faisant assassiner son cousin, le 23 novembre 1407 à Paris.

Charles d’Orléans, fils du duc assassiné, fait alors appel à son beau-père, le comte d’Armagnac, pour venger son père. Ses partisans entreront dans l’histoire sous l’appellation d’ « Armagnacs », tandis que le clan opposé sera surnommé les « Bourguignons », entraînant une guerre civile qui durera 28 années, de 1407 à 1435. Les Anglais ayant repris les hostilités contre le royaume de France, Jean Sans Peur n’envoie que peu de troupes pour les combattre car les Flandres, qui lui appartiennent, sont dépendantes de l’approvisionnement en laine anglaise pour ses draperies. Il profite donc du désordre engendré pour reprendre le pouvoir à Paris, soutenu par les universitaires et les artisans. Dans le même temps, les Anglais écrasent la chevalerie française à Azincourt, en 1415.

  Le royaume de France est en bien mauvaise posture. Trois ans plus tard, le 29 mai 1418, le dauphin, futur Charles VII, âgé de quinze ans, résidant à l’hôtel Saint-Pol, est directement menacé par les sbires de Jean Sans Peur, qui viennent tout juste d’envahir la capitale aux abois. Ils massacrent un grand nombre de partisans Armagnac, dont le comte d’Armagnac lui-même. Mais le jeune prince, entouré par les conseillers fidèles à la Couronne française, se réfugie à Bourges, capitale du duché de Berry dont il possède l’apanage. Prince énergique et volontaire, il y organise la résistance face aux Anglais et aux Bourguignons.

  Finalement, la paix est conclue un an plus tard par un traité signé le 11 juillet 1419, à Pouilly-le-Fort. Mais les Anglais, ayant investi à nouveau le royaume, progressent le long de la Seine et s’emparent de Poissy le 31 juillet. Paris étant menacée derechef, le duc de Bourgogne évacue la famille royale à Troyes. Rendez-vous est pris le 10 septembre pour signer le traité de paix définitif entre les deux princes sur le pont qui traverse l’Yonne à Montereau.

 

L’assassinat du duc de Bourgogne :

 

  Le jour dit, les deux armées arrivent sur place aux environs de 15 heures et s’installent sur les berges du fleuve, de part et d’autre du pont. Jean sans Peur étant informé par ses espions que sa vie est menacée par les Armagnacs désireux de venger la mort de Louis 1er douze ans plus tôt, son entourage met en place une surveillance rapprochée. Dans ce climat de suspicion, le régent en fait autant.

  Au milieu du pont, des charpentiers ont dressé un enclos muni d’une porte de chaque côté. Il est convenu que les deux princes rivaux entreront dans l’enclos chacun accompagné d’une escorte de dix hommes ayant prêté serment et que les portes resteront fermées pendant toute la durée de l’entrevue. Pourtant, malgré ces dispositions draconiennes, Jean Sans Peur continue de s’interroger sur le bien-fondé de cette rencontre qui s’avère plus dangereuse que fructueuse. De part et d’autre de l’Yonne, les deux princes s’épient.

  Finalement, à 17 heures,  le duc de Bourgogne, n’y tenant plus de cette attente lourde de menaces, se décide. Il s’avance vers le pont de Montereau. Lorsque les proches du jeune régent, dont fait partie Jean de Maissy son médecin, voient le duc accéder au pont, ils s’approchent du jeune homme et, pour le conforter, lui déclarent : « Venez devers, Monseigneur, le duc vous attend. ». Le dauphin et sa suite pénètrent dans le sas où se trouve déjà Jean Sans Peur, armé de son épée, accompagné non pas de dix hommes, comme il était prévu, mais de onze, le onzième étant le secrétaire du duc. Mais le régent ne proteste pas d’autant que Jean Sans Peur s’agenouille devant lui, respectant ainsi le protocole. Pourtant, l’atmosphère est tendue.

  Le jeune prince reproche alors à son aîné sa coupable neutralité face aux armées anglaises, malgré la convention du Ponceau qui stipulait que tous les vassaux du roi lui devaient assistance dans le conflit opposant le royaume aux Anglais. Le duc lui répond ces simples mots : « J’ai fait ce que je devais faire ». Le ton monte rapidement. Selon l’historien Auguste Vallet de Viriville ( 1815 – 1868), deux versions contradictoires opposent les partisans des deux camps ; en effet, les chroniqueurs bourguignons prétendent que jean Sans Peur s’est immédiatement fait agresser sans même avoir eu le temps d’entamer la discussion, alors que les partisans Armagnacs affirment que le duc s’est montré arrogant et aurait signifié au jeune prince que ce dernier, toujours tributaire du roi son père, malgré la folie attestée de ce dernier, et donc aucunement habilité à traiter en son nom. Il lui aurait ensuite demandé de rentrer à Paris et de faire acte de soumission. Ces propos auraient été appuyés par le sire Archambaud de Foix-Navaille, conseiller et chambellan de Jean Sans Peur, qui ensuite aurait tiré son épée de son fourreau, geste qui aurait déclenché la réaction immédiate de la garde du dauphin. Lui devait périr en défendant son maître.

  Selon le récit que fera plus tard Jean Séguinat, secrétaire du duc, devant la commission d’enquête réunie par les Bourguignons, Tanneguy du Châtel, maréchal et gouverneur de la Bastille, un des favoris du jeune prince, aurait porté un coup de hache au visage du duc de Bourgogne en criant « Tuez ! Tuez ! ».Alors que le dauphin était mis en sûreté, les partisans des deux camps se jetèrent les uns sur les autres et ce fut la curée. La cadavre de Jean Sans Peur eut la main droite tranchée à l’instar du duc d’Orléans, quinze ans plus tôt. Aujourd’hui, il est difficile de trancher entre les deux versions et sans doute, à moins de retrouver des documents inédits, ne saura-t-on jamais qui fut le véritable instigateur de l’assassinat du duc de Bourgogne.

116 réflexions sur “Avis d’expert, saison 2 : Affaire n°1 : l’assassinat du duc d’Orléans.

  1. […] saison sur « les sciences forensiques » et une saison deux autour « des grandes affaires criminelles […]

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  2. La manière dont Louis d’Orléans fut attiré dans le guet-apens (la transmission par Thomas Courteheuse, de la pseudo « convocation » du prince par Charles VI) présente une saisissante analogie avec celle du duc de Guise, le 23 décembre 1588 … Toutefois, les deux événements sont fondamentalement différents : la mort du duc d’Orléans est un authentique assassinat perpétré par un rival hiérarchiquement inférieur (Louis était le frère cadet du roi … Jean-Sans Peur, un cousin) aspirant usurper la dimension politique de Louis … celle du duc de Guise relève d’une Exécution ordonnée par le roi Henri III (à cette époque, le roi disposait d’un droit de Justice extraordinaire en cas de crime de lèse majesté … ce qui était le cas, le duc de Guise ayant à la fois trahi le roi et la France).

    S’agissant de la stature politique de Louis d’Orléans, l’Histoire ne l’a toujours pas replacé dans sa véritable dimension en tant que précurseur de Louis XI dans la lutte contre la Maison de Bourgogne, alors en pleine croissance … C’est ce qu’à très bien perçu Jacques Bainville écrivant, dans son « Histoire de France » : « Que Louis d’Orléans, dans ce conseil de princes ait représenté l’intérêt de la France et la tradition nationale, il n’en faut pas douter … Jeans Sans Puer, cousin germain du roi et du duc d’Orléans, n’était déjà plus des nôtres, il était nationalisé Flamand. Sous les apparences d’un Français, il y avait un étranger au conseil de régence. »

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  3. Je suis innocente !! 😆 Je n’ai pas tué le duc d’orléans ! Par contre, je note une faute, on dit qu’il fut jeté en bas de sa mule et la peinture le représente juché sur un beau destrier… Un peu comme Napo franchissant les Alpes : officiellement, c’est à dos de mule qu’il le fit, la peinture le représente juché sur son bô cheval blanc, Vizir ! 😛

    Bon, j’adore les histoires criminelles, moi.

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